samedi 31 mars 2012

Peut-on vraiment consommer 100% français ?

LE MONDE |  • Mis à jour le 

Les dépenses d'alimentation demeurent les plus préoccupantes pour le portefeuille de 44 % des Français, suivies des impôts (32 %), de l'essence (31 %), de l'électricité (25 %) et de la santé (24 %).
De retour de Londres, Virginie et Philippe - notre couple fictif rapatrié à Paris emménage dans un petit pavillon de banlieue - s'étaient fixé une priorité, en cette année d'élection : acheter français, faire du militantisme économique. Un désir dans l'air du temps, alors que la crise et le chômage ont fait prendre conscience des dégâts causés par une désindustrialisation entamée au début des années 1980 et qui ne cesse de s'amplifier.
La France a perdu plus d'un quart de ses emplois industriels depuis 1991, selon le cabinet Roland Berger. Du coup, le "made in France" est au cœur des débats de l'élection présidentielle et sera sans nul doute évoqué au Salon de l'industrie, qui se tient du 26 au 30 mars au Parc des expositions de Paris Villepinte.
Aujourd'hui, près de deux Français sur trois se disent prêts à payer plus cher les produits fabriqués en France, selon le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), contre moins de la moitié il y a cinq ans.... Tant que la majoration ne dépasse pas 5 %.
Encore faut-il savoir repérer le "made in France" ! N'importe quel produit peut s'entarguer si une partie de son processus de fabrication a été réalisée dans l'Hexagone. "Aujourd'hui, le consommateur ne peut que tâtonner. Il n'existe pas de norme unique, avec un cahier des charges clair, reconnaît Edouard Barreiro, responsable des études chez UFC-Que choisirVous ne pouvez être sûr d'acheter français que pour des fromages ou du vin AOC."
Virginie s'en est rendu compte en faisant la tournée des magasins d'ameublement. Dans un secteur où les deux tiers des équipements sont importés, "les Français sont soit dans le bas de gamme, avec les meubles en kit proposés par la grande distribution, soit dans le haut de gamme", explique Christophe Gazel, directeur général de l'Institut de prospective et d'études de l'ameublement (IPEA).
Dans le premier cas, le coût de la main-d'œuvre est si faible, entre 4 % et 10 % du prix de fabrication des panneaux agglomérés, qu'il vaut mieux produire sur place plutôt que de payer d'importants frais de logistique. Dans le second cas, il y a le savoir-faire français... qui n'a pas de prix, c'est bien connu.
Les canapés Duvivier sont ainsi fabriqués dans le Poitou et ceux du groupe Roset (marques Roset et Cinna) dans l'Ain. Mais la concurrence peut aussi être vive dans le bas de gamme. Le français Green Sofa Dunkerque vient d'être placé en redressement judiciaire, après le retrait de son principal client, le suédois Ikea.
Dans la cuisine, ceux qui résistent sont les industriels qui ont développé leur propre circuit de distribution. Mais cela demande un maillage serré. "Les clients ne veulent pas faire plus de 25 minutes de trajet pour aller acheter une cuisine", constate Anne Leitzgen, présidente de la Société alsacienne de meubles (SALM), connue pour ses marques Schmidt et Cuisinella. C'est, selon les professionnels, le seul moyen de résister au rouleau compresseur Ikea, qui fait un tabac avec ses cuisines à petit prix.
"ELÉMENT DIFFÉRENTIANT"
Côté électroménager, produire français est "un élément différentiant positif", affirme Thomas Raffegeau, directeur marketing de Fagor Brandt, la filiale française du groupe espagnol Fagor. L'industriel, qui commercialise les produits De Dietrich, Fagor, Sauter, Vedette et Brandt, a ainsi obtenu en novembre 2011 le label "Origine France garantie", créé il y a un an et accordé aux marques dont les usines sont en France, et dont la moitié de la valeur ajoutée des produits qui en sortent est tricolore. Le groupe dispose de quatre sites, à La Roche-sur-Yon, Aizenay (Vendée), Vendôme (Loir-et-Cher) et Orléans. Rosières, qui fait partie du groupe italien Candy, n'en a qu'une, dans le Berry.
Au rayon petit électroménager, notre couple a eu plus d'opportunités d'acheterfrançais, avec Seb et ses marques Moulinex, Rowenta, Krups... Philippe s'est payé une Actifry, le haut de gamme de la friteuse, produite à Is-sur-Tille (Côte-d'Or), tandis que Virginie a craqué pour le robot Thermomix de la marque allemande Vorwerk, qui est fabriqué - surprise ! - à Cloyes-sur-le-Loir (Eure-et-Loir).
Pour se vêtir "made in France", en revanche, l'affaire s'est corsée... et nos tourtereaux ont failli se retrouver tout nus. Plus de 95 % des vêtements vendus dans l'Hexagone sont en effet fabriqués à l'étranger. Il est devenu quasiment impossible de trouver un jean ou un costume pour homme fabriqués en France.
Pour s'habiller tricolore, Philippe et Virginie ont dû casser leur tirelire. Seules quelques marques de prêt-à-porter haut de gamme et une partie des grandes maisons de luxe font encore travailler des ateliers dans l'Hexagone.
Notre couple a donc opté pour des ballerines Repetto, fabriquées en Dordogne, et des mocassins chics Weston, cousus main près de Limoges. Leurs chaussettes,Bleu Forêt, viennent des Vosges. Et leurs marinières bleu et blanc de chez Armorlux, qui maintient contre vents et marées un site de confection à Quimper. Agnès b. conserve aussi une partie de sa production en France. Quant à trouverdes petites culottes pour Virginie ou un caleçon pour Philippe, c'est une autre paire de manches...
Pour se déplacer, il a aussi fallu faire des concessions. Philippe cherchait un scooter, afin de circuler facilement dans Paris. Une seule solution : acheter un Peugeot, dont une partie des modèles sont encore assemblés à Mandeure, dans le Doubs. Mais cela lui a coûté plus cher que s'il avait pris une marque asiatique comme Kymco ou Sym, dont les petits prix font un tabac dans les grandes villes.
Pour la voiture, Virginie rêvait d'un petit modèle pour se faufiler dans Paris. Il lui a fallu revoir ses ambitions à la baisse. Et choisir entre une Peugeot 208, une Citroën C3, une Renault Clio ou une Toyota Yaris, les plus petites des voitures assemblées en France. Les modèles plus compacts, comme la Twingo, la C1 ou la 107 sont tous produits et montés en Europe centrale ou en Turquie.
"La différence de coûts de production entre une Clio assemblée à Bursa, enTurquie, et le même modèle produit à Flins, dans les Yvelines, est de 1 300 euros", constate Carlos Tavares, directeur général de Renault. Pour une Peugeot 208, c'est encore pire : celle produite à Poissy (Yvelines) coûte 1 500 euros plus cher que celle que celle provenant de Trnava, en Slovaquie.
Rien d'étonnant, donc, à ce que les constructeurs français produisent essentiellement des modèles à forte valeur ajoutée en France. Chez Renault, ce sont les utilitaires, comme le Kangoo ou le Trafic, ainsi que quelques modèles haut de gamme, comme l'Espace ou la Laguna. La firme au losange ne produit d'ailleurs plus que 18 % de ses voitures en France, contre encore 39 % pour PSAPeugeot Citroën.
ASSEMBLAGE ET CONSTRUCTION
Mais les professionnels conseillent de se méfier des chiffres. "L'assemblage ne pèse que 15 % de la valeur ajoutée d'une voiture", estime M. Tavares. Autrement dit, ce n'est pas parce qu'elle est assemblée à l'étranger qu'elle n'est pas française. La fabrication des moteurs, des boîtes de vitesses ou des transmissions est souvent française et exportée dans des usines à l'étranger. A Tremery (Moselle), PSA produit ainsi les nouveaux moteurs du groupe, tandis que l'usine du Mans de Renault fabrique des châssis pour l'ensemble des sites de Renault-Nissan.
Pour les équipements électroniques, notre couple n'a pas eu le choix : hors de l'Asie, point de salut. Seule petite fantaisie, Virginie s'est offert le Qooq, une tablette culinaire proposant plus de 2 000 recettes ainsi que des vidéos de démonstration et des conseils. Elle a été fabriquée à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), une région qui lui est chère.
Quant à Philippe, il a dû se rabattre, pour les jeux vidéo, sur les "Lapins crétins", l'un des best-sellers d'Ubisoft. Et quand il utilise sa Wiimote de Nintendo, il se donne bonne conscience : le mouvement est géré par un capteur conçu par le franco-italien ST Microelectronics, installé à Crolles (Isère).
La France a perdu 1,1 million d'emplois industriels en dix ans
Un quart en moins En France, l'emploi industriel a chuté de 26 % entre 1991 et 2010, ce qui représente une perte de 1,1 à 1,2 million d'emplois, selon le cabinet Roland Berger. L'industrie ne représente plus que 12 % de l'emploi total en France en 2010, contre 16 % en 2000. Cette proportion est de 9 % au Royaume-Uni (14 % en 2000) et de 19 % en Allemagne (contre 21 % en 2000).
Troisième rang En 2010, l'industrie ne représentait plus que 13 % de la valeur ajoutée totale réalisée en France, contre 18 % en 2000. Elle représente encore 15 % au Royaume-Uni, contre 20 % il y a dix ans, et demeure stable en Allemagne, à 25 %.
Détérioration La désindustrialisation s'est traduite par une dégradation de la balance commerciale française. Le déficit pour les produits industriels, qui était de 15 milliards d'euros en 2000, a atteint 92 milliards en 2011.
Recul en Europe La part de la valeur ajoutée industrielle de la France dans l'industrie manufacturière des 27 pays d'Europe a reculé, passant de 12,9 % en 2000 à moins de 10,7 % en 2011.

Source: http://www.lemonde.fr/style/article/2012/03/26/acheter-made-in-france-tout-un-art-qui-demande-quelques-sacrifices_1675720_1575563.html

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